Le libre-arbitre est un vaste sujet aussi bien au niveau biologique qu’au niveau philosophique. La question de savoir si nous sommes libres de nos choix ou si nos choix sont pré-destinés par notre biologie, destin ou autres est une question fondamentale. Cette question a fait l’objet de nombreux essais. En philosophie évidemment mais pas seulement. En effet, les neurosciences s’intéressent également au sujet depuis un moment maintenant et un des articles les plus récents a été publié dans Nature communications en février 2020.

Que nous apprend cet article? Que la respiration est impliquée dans l’action volontaire et dans la préparation corticale à l’action. Voyons cela d’un peu plus près!

L’action volontaire, la conscience de soi et le libre arbitre

 

Le contrôle de l’action volontaire et la capacité à initier une action « à volonté » est un élément essentiel de la conscience de soi. Un bébé par exemple est incapable de faire une action volontaire. Il n’associe pas un geste à lui-même. ce n’est que quand il prend conscience qu’il peut attraper agir sur quelque chose qu’il prend aussi conscience de lui-même. Il y a plus de 50 ans, Kornhuber et ses collègues ont découvert que l’action volontaire est précédée d’environ une seconde de ce qu’on appelle un potentiel de préparation qui est une variation de l’activité cérébrale.

Ce potentiel de préparation au cours du temps a été désigné comme un indicateur inconscient d’une décision consciente notament via les expériences de Liebet… A partir de là, le libre-arbitre est donc devenu assez relatif puisque le cerveau est prêt à agir avant que l’on soit conscient que l’on souhaite agir et ce longtemps à l’avance (1 seconde!). Néanmoins, l’interprétation de ce potentiel de préparation a été discutée ces dernières années, suggérant que c’était en fait un bruit de fond neuronal fluctuant plutôt qu’une préparation à une action spécifique. Ce ne serait donc pas dans ce cas réellement une atteinte au libre arbitre puisque non relié à un fait précis.

 

Les signaux interoceptifs font varier le potentiel de préparation

 

Parmi les facteurs faisant varier le niveau de ce signal de préparation mais aussi le bruit neuronal en général, il y les signaux interoceptifs (ou physiologiques). En effet, le corps envoie constamment des indications sur son état physiologique au cerveau ce qui fait fluctuer l’activité cérébrale.

Le rythme cardiaque, les récepteurs sensoriels, le péristatisme et bien sûr la respiration, font varier le bruit neuronal. Dans cette étude, les chercheurs ont donc voulu identifier les facteurs précis influant sur le potentiel de préparation et le mouvement volontaire.

 

Le choix des facteurs pouvant influer sur le potentiel de préparation

 

Comment les chercheurs sont arrivés à tester cette hypothèse? Tout d’abord, il a été montré que les facteurs introceptifs influent sur différents processus. Parmi eux, la vision, les processus émotionnels ou encore les micro-mouvements des yeux. Ensuite, ces signaux permettent de maintenir une activité neuronale de repos qui peut dériver vers le potentiel de préparation. Enfin, le contrôle de la respiration impacte sur une zone du cerveau. Cette zone serait un lien entre respiration, potentiel de préparation et action volontaire.

Dans cette étude, à la vue des connaissances actuelles, les chercheurs ont donc logiquement suivi les deux paramètres suivants. Ces paramètres sont le battement cardiaque et la respiration pour leur influence dans des tests de détermination de l’action volontaire.

 

Protocoles de test

 

Le protocole de test employé est assez simple. Le sujet doit simplement presser un bouton, toutes les 8 à 12 secondes. Les sessions durent environ 8 minutes. Les participants ont pour consignes de ne pas chercher à compter les secondes entre chaque pression . De même, ils ne doivent pas chercher à rendre la pression la plus aléatoire possible. Ces protocoles viennent de tests appelés test de Libet et de Kornhuber.

A partir de ces consignes, les chercheurs ont analysé la corrélation entre départ de l’action volontaire, le rythme cardiaque et la phase de la respiration  (expiration ou inspiration).

Le test a été effectué sur une vingtaine de participants à l’étude pour le premier test (Kornhuber). Pour les suivants environ une trentaine (Libet). Ces participants ont été sélectionnés pour ne pas avoir de troubles neurologiques ou psychiatriques ni de problèmes cardiaques. En effet, ce type de troubles peuvent modifier l’analyse des résultats. Sur 20 participants, autant de femmes que d’hommes, tous autour de 26 ans et droitiers exclusivement.

 

L’action volontaire est couplée à la phase respiratoire

 

Les premiers résultats sur le test de Kornhuber sont évidents. Quasiment 100 % des pressions sur le bouton se font durant la phase d’expiration. De façon plus précise, les participants appuyés préférentiellement en fin d’expiration, peu de temps avant la reprise de l’inspiration. A la fin de l’expérience, les participants ont du répondre à la question suivante. Est-ce que vous étiez conscient de la phase respiratoire dans laquelle vous étiez quand vous avez pressé le bouton? de votre rythme cardiaque? Les participants ont pour la plupart répondu non. Ceci suggère que la décision s’est faîte sans conscience de cette potentielle influence de phase.

Pour confirmer ces résultats et s’assurer de l’aspect non conscient du phénomène, les auteurs ont utilisé un test de Libet. N’hésitez pas à aller en lire plus sur ce test puisqu’il a posé de vraies questions sur le libre arbitre. Je reviendrai là-dessus. Dans ce test, les participants sont face à une horloge qui tourne et appuient encore sur un bouton quand ils le souhaitent. La différence est lors de la prise de décision de l’appui, ils doivent se souvenir de la position de l’horloge. En même temps, l’activité cérébrale est mesurée. Ainsi, ce test permet de dissocier, le début de l’activité cérébrale, le moment où vous prenez la décision et le moment où vous appuyez su le bouton.

Le résultat dans ce cas reproduit les résultats classiques du test de Lieber, à savoir que les participants décident d’appuyer sur le bouton après que le cerveau ait commencé à préparer le mouvement. Par contre, le fait de décider d’appuyer sur le bouton se fait toujours préférentiellement lors de l’expiration. Ceci reproduit donc le test de Kornhuber. Là encore, on leur a demandé si ils étaient conscients de leur activité respiratoire ou cardiaque. La réponse a été non pour 95% des participants.

Par contre,  l’activité cardiaque ne semble avoir une influence sur la prise de décision.

 

La respiration n’influence pas l’action non-volontaire ou l’activité cérébrale 

 

Pour contrôler l’influence de la respiration sur une action non décidée, les chercheurs ont réalisé une dernière expérience. On parle d’action non décidée lorsque c’est une réponse à une stimulation externe. Dans cette expérience, les participants doivent appuyer sur un bouton en réponse à un stimulus extérieur. Pour cela, les participants regardent une horloge et appuient sur un bouton dès qu’une lumière verte s’allume dessus. Dans ce cas, il n’y a pas de couplage entre phase respiratoire et l’appui sur le bouton.

Ainsi, il n’y a que lors de la prise de décision volontaire que la phase respiratoire influe sur l’action.

Les auteurs ont voulu également voir si l’activité cérébrale changeait en fonction du cycle respiratoire. Pour cela, ils ont utilisé les données enregistrées lors des tests et les ont comparées aux phases du cycles respiratoires.  Là encore, l’activité cérébrale n’est  pas influencée par la respiration.

La respiration influe sur le potentiel de préparation

 

Le dernier paramètre non exploité est le potentiel de préparation. Là encore, les auteurs ont fait la corrélation entre cycle respiratoire et la mesure par electro-encéphalogramme de ce potentiel. Cette fois, une corrélation claire est observée. Tout d’abord, le potentiel de préparation augmente environ deux secondes avant la prise de décision.

Mais ce n’est pas tout. En mesurant l’amplitude de ce potentiel de préparation, on observe qu’il est dépend de la phase respiratoire. En effet, ce potentiel de préparation augmente pendant l’inspiration et diminue lors de l’expiration.

Ces données montrent donc qu’il y a un lien entre phase respiratoire et potentiel de préparation!

 

Discussion des auteurs

 

Pour les auteurs, ces expériences montrent clairement l’effet de la respiration sur la prise de décision volontaire. Ceci prouve expérimentalement l’influence de paramètres interoceptifs sur la prise de décision de façon inconsciente. Ensuite, jusque là, le potentiel de préparation qui précède la décision volontaire était assez mystérieuse. On supposait que c’était tout un ensemble de signaux qui petit à petit augmentaient l’activité cérébrale jusqu’à déclencher l’action. Or ici, il s’avère que le simple cycle respiratoire suffit à faire varier ce potentiel de préparation. Les auteurs proposent donc que c’est bien la respiration qui influe sur ce potentiel de préparation.

Concernant la préférence pour l’expiration pour la prise de décision, les auteurs suggèrent que c’est lié à une compétition de signaux nerveux. En effet, il y aurait conflit entre la régulation de l’action motrice (appuyer avec le doigt) et l’action de respirer (contracter le diaphragme…) pendant la phase inspiratoire. il est donc plus facile d’appuyer pendant l’expiration.

Enfin, les auteurs font remarquer que la respiration nasale influe sur le potentiel de préparation mais pas la respiration buccale…

Pour conclure, les auteurs répondent à une question qui intrigue la communauté scientifique depuis les expériences de Liebet. A savoir, pourquoi le cerveau agit avant que l’on soit conscient de la prise de décision. Cette question est fondamentale pour savoir si on possède vraiment un libre arbitre. En fait, cet article propose que ce n’est pas une prise de décision inconsciente du cerveau qui précède la conscience. Ce serait l’influence de la respiration qui donnerait la possibilité de prendre une décision. Une découverte fondamentale!

 

Conclusion 

 

Cet article est intéressant à plus d’un titre!

Pour commencer néanmoins,  je souhaiterais parler d’un élément non pris en compte. Les auteurs ont parlé d’un conflit de régulation motrice pour expliquer la préférence de l’expiration pour la prise de décision. Néanmoins, il y a un autre paramètre important: l’activité musculaire au cours de l’inspiration. Pendant l’inspiration, le corps est beaucoup plus en tension et donc faire une action isolée comme presser sur un bouton est beaucoup moins confortable. Ceci est un paramètre à prendre à compte pour expliquer cette préférence.

Ensuite, si on regarde le potentiel de réparation qui a lieu environ 2 secondes avant l’expiration, on se rend compte que deux secondes, c’est classiquement un demi-cycle respiratoire chez une personne lambda (15 respirations/ minute). La prise de décision pourrait donc se caler sur l’inspiration et l’exécution sur l’expiration lié justement à un potentiel de préparation favorable.

Enfin, cela apporte énormément en terme pratique. Pourquoi il est intéressant d’allonger les cycles respiratoires. Pourquoi on fait certaines actions sur l’inspiration et d’autres sur l’expiration… Cet article en plus de répondre à une question philosophique sur le libre arbitre montre l’importance d’être conscient de la respiration. En effet, dans les questionnaires, les gens ne sont pas conscient de leur respiration. Quels seraient les résultats sur des gens qui la contrôlent? Est-ce que ça pourrait expliquer la lucidité qu’on obtient en respirant correctement?

Bref, cet article montre l’importance encore une fois de la respiration, son lien à la conscience. Il montre à quel point nous en savons peu et donc l’importance de ce champs d’exploration. une bonne dose de motivation pour se pencher encore plus sur le sujet et pratiquer!

A bientôt

Yvan