**TL;DR :** Sartre avait raison, mais pas comme on le croit. « L’enfer, c’est les autres » n’est pas une condamnation sociale — c’est une leçon de conscience. Cet article explore comment nos images mentales, nos faux éveils et la respiration consciente peuvent nous libérer du regard des autres.
Le vrai sens de « L’enfer c’est les autres » de Sartre
J’écoutais récemment le témoignage d’une personne ayant soi-disant vécu un éveil spirituel lors d’une retraite d’un week-end, et l’inconsistance de ce qu’elle racontait m’a donné envie d’écrire cet article. Dans son témoignage, cette certainement très sympathique personne décrivait les visions de son éveil, et que ce soit dans le contenu, le langage verbal et corporel ou même les vêtements, tout ramenait à ce que l’on attend de l’éveil dans les traditions fast-foodesques modernes : lumière, anges gardiens, secrets du monde (et des pyramides et de l’Atlantide), et bien évidemment une mission : faire passer un message pour éveiller les consciences endormies.
Toutes les traditions décrivent la même chose : pour atteindre l’éveil, il faut retrouver notre conscience. Je ne vais pas élaborer là-dessus, d’autres le font bien mieux que moi. Or, comment nous retrouver si ce sont les autres qui inceptionnent l’image que l’on a de notre conscience ?
C’est là que m’est revenue cette phrase de Sartre : « L’enfer, c’est les autres. »
Petit rappel : L’Enfer c’est les autres est la fameuse phrase qui conclut la pièce de Sartre Huis Clos. Dans cette pièce, trois personnages se retrouvent en enfer. Là, ni flammes, ni châtiment, juste eux, enfermés ensemble. Petit à petit, ils se rendent compte qu’être face aux regards, jugements, attentes des autres est le véritable enfer. Pour aller plus loin, Sartre pense que l’Humain n’existe pas seul et que nous nous définissons par le regard des autres — notre image dépend donc de la reconnaissance de l’autre. Malheureusement, ce regard nous fige, en nous réduisant à des étiquettes. Ainsi, nos comportements sont définis par les attentes de ceux qui nous définissent. Cet enfer est donc d’être prisonnier du regard d’autrui. Et ce n’est pas à sens unique : l’autre nous définit, mais nous le définissons tout autant. Cela provoque une prison auto-régulée où, en plus, tout changement de comportement entraîne une réaction violente de l’environnement pour nous remettre à la place attendue. Regardez simplement ce qu’il se passe quand vous changez de coupe de cheveux ou que vous vous rasez la barbe…
Connais-toi toi-même : la clé socratique pour sortir du regard des autres
« Connais-toi toi-même » est la clé donnée par une gravure sur le temple de Delphes deux millénaires plus tôt, et dont Socrate a repris la maxime pour en faire le fondement de sa méthode. En cherchant ses conditionnements, ses illusions et ses projections, on s’affranchit justement de l’image – ou ego – construit par l’environnement. En faisant cela, l’enfer n’est plus les autres en soi, mais la partie de ma construction que je délègue à l’autre, renonçant ainsi à ma responsabilité sur Moi.
Comme je l’explique dans le programme L’Arbre des Pourquoi, tant que je ne prends pas la responsabilité d’être Moi, je suis obligé de m’adapter pour jouer le rôle attendu par les autres – mais surtout par mon Ego. Cela génère un stress (mécanisme d’adaptation) permanent et me fait tomber dans des boucles qui se répètent inlassablement. Certains disent que cela se répète pour nous faire comprendre la situation. Je ne suis pas d’accord : ça se répète tant qu’on n’a pas compris que le résultat de la situation est directement lié au rôle que l’on joue. Être soi-même permet de ne plus jouer la même situation – voire de ne plus la jouer du tout, parce que ce n’est pas notre place.
Mais comprendre ne suffit pas : encore faut-il sortir du piège mental qui nous fait confondre compréhension et transformation.
Le piège de la philosophie : quand le mental se corrige lui-même
Tout cela est bien beau, mais comment se sortir de cet enfer ? Je ne prétends pas avoir la solution à tout. Cependant, j’ai au moins un modèle. À vous de voir s’il est intéressant ou pas.
L’enfer en question, c’est notre ego. Notre ego est une image dynamique assemblée par notre mental à partir des différentes informations auxquelles il a accès. Qu’est-ce que le mental, dans ce modèle ? Une fonction de l’esprit permettant d’analyser l’information, de se projeter dans le temps et de construire des concepts. L’ego est donc purement une construction mentale. Le mental devient cet ego, remplaçant le reste de notre individualité consciente. La preuve : nous confondons danger physique et agression de l’ego, puisqu’une simple insulte provoque du stress chez la plupart des gens.
Le problème est que la philosophie, selon cette même définition, est également le domaine du mental. Ce qui entraîne un vrai paradoxe : comment, à partir d’un outil défectueux, corriger ce même outil ? Ce n’est pas possible. Ou alors, en rajoutant des couches de confort. Exemple : se donner l’image d’un sage mais devenir de plus en plus intolérant dès qu’on attaque les fondements de cette croyance (cf. les philosophes de plateaux télé). Bref, c’est un peu comme se réveiller d’un rêve dans un autre rêve : on est toujours prisonnier, on ne s’en rend juste pas compte.
Alors, si la philosophie échoue à libérer, où placer le curseur ? Dans l’expérience directe.
Le piège de la méditation : hypnagogie et faux éveils spirituels
Alors si la sortie ne se trouve pas dans les idées, elle se trouve peut-être dans l’esprit ? Dans ce cas, allons méditer. L’idée n’est pas mauvaise. Mais revenons à la fonction du mental : se projeter et construire des concepts. Vous allez faire de la méditation pour un résultat, et suivre un protocole décrit par d’autres. Autrement dit, vous êtes déjà dans le futur, balisé par le retour d’expérience de l’enseignant ou vos propres attentes.
Et là, on tombe dans le danger ultime : l’expérience mystique qui vient valider l’ego… C’est presque pire que la philosophie, car on parle ici de quelque chose de vécu. L’expérience, toujours plus forte que la théorie, devient une prison dorée.
Mais voici le problème : si la méditation est de mauvaise qualité, vous allez tomber dans l’hypnagogie, cette phase où l’on rêve éveillé. C’est une étape nécessaire, mais à condition de la traverser consciemment. Sinon, c’est là que naissent les faux éveils : votre mental et ses attentes produisent les rêves que vous espérez. Cela peut même prendre la forme d’archétypes, issus de la construction collective de votre image. Fort de ces visions, vous validez le parcours attendu par votre mental et tombez dans l’illusion de l’avancée. C’est le faux éveil spirituel.
Beaucoup de pratiquants, et de soi-disant maîtres, sont coincés là-dedans. Cela explique les différents courants entre ceux qui captent des extraterrestres, des elfes galactiques, des démons ou autres… Et chacun y trouve sa vérité – jusqu’à ce qu’elle s’effondre. Il se tourne alors vers les zététiciens.
Isoler le mental pour retrouver la lucidité
Pour rester dans le sujet : si vous voulez vous défaire de l’ego, la première étape est d’isoler et repositionner correctement le mental. Et pour cela, la méditation est sans doute la plus mauvaise méthode.
Isoler le mental, c’est le mettre dans le présent réel, pas dans un concept. Et ne me parlez pas du Pouvoir du moment présent, qui n’est souvent qu’une manifestation du mental qui boucle sur lui-même. Mettre le mental dans le présent, cela veut dire quoi ? Le confronter à la réalité, pour l’obliger à faire face à ses contradictions.
Exemple : « Mon énergie me permet d’être extrêmement fort. » Fais des pompes et regarde si tu en fais plus que ton niveau d’entraînement ne le permet. Le nombre de personnes avec soi-disant une énergie vitale surpuissante mais incapables de faire une pompe est étonnamment élevé. « Mon ange gardien me protège. » Demande à quelqu’un de te frapper et regarde si la frappe arrive ou pas.
Bref, pour isoler le mental, utilisez d’autres fonctions de l’esprit : la mémoire, le corps, la réalité objective. Ce n’est que face aux contradictions que vous prendrez conscience du fossé entre réalité et croyance. Et cette prise de conscience est la première étape de la correction.
Mais une fois qu’on a isolé le mental, il faut le réintégrer dans un cadre fonctionnel : c’est le rôle de la méditation paradoxale.
La méditation paradoxale : utiliser la respiration pour apaiser le mental
Il y a des milliers de techniques de méditation. Mais elles mènent souvent aux mêmes écueils, surtout si elles impliquent des visualisations. Vous ne pouvez pas lâcher le mental si vous avez un objectif : c’est le paradoxe même de la méditation.
Une des solutions de départ (tant que le mental n’est pas isolé) est de passer par le physiologique. D’où l’intérêt des techniques respiratoires. Je discutais avec un prof de yoga qui expliquait que Kapalabhati, la respiration du feu, sert justement à court-circuiter le mental par la physiologie. Très bonne pratique. En allongeant progressivement la respiration, on apprend à calmer le mental sans le combattre.
En travaillant la technique respiratoire, on travaille la méditation. Peu importe à quoi vous pensez : la physiologie prendra le dessus. Et là, il se passe des choses intéressantes. D’ailleurs, lorsque je médite, j’utilise systématiquement un appareil de mesure de EEG, ce qui permet de savoir par où je suis passé dans ma méditation, ce qui permet de différencier les visions hypnagogiques d’autres choses.
Comment savoir si on est vraiment libre ?
À un premier niveau – car on peut toujours l’être davantage – je dirais qu’il y a deux indicateurs puissants : le regard sur les autres et la réussite.
Quand vous vous libérez, le regard des autres ne vous affecte plus. Dans mon cas, où mon exposition fait que je suis régulièrement insulté d’un côté par ceux qui pensent que j’affabule et de l’autre par ceux qui pensent que je plagie, cela ne provoque aucune réaction. Pas parce que l’avis de l’autre ne m’intéresse plus, mais parce que si je sais qui je suis, je ne projette plus d’attente sur l’autre non plus et c’est presque cela qui amène le plus d’indifférence émotionnelle. Je parle bien d’indifférence émotionnelle parce qu’écouter ce que l’autre a à dire permet parfois d’avoir des informations utiles d’un point de vue analytique.
Il y a également autre chose, cela peut sembler méprisant mais il faut pourtant le comprendre. Tant que vous n’êtes pas conscient, vous êtes un clone. L’imagination collective n’est pas incroyable. Le nombre de rôles conventionnels est limité. Donc, tant que vous jouez un rôle, vous êtes globalement la même personne que tous les autres à qui ce rôle a été attribué. Voilà pourquoi on perd beaucoup d’intérêt à l’autre tant qu’il ne montre pas sa singularité en prenant conscience de lui-même.
Le deuxième critère : la réussite. Je ne parle pas de réussite sociale ou financière bien que cela puisse en faire partie. Mais prendre conscience de soi, c’est être en capacité de savoir clairement ce qui nous anime et d’être clair avec nos moyens et nos manques. Le résultat est que l’on est toujours motivé et on ne s’engage pas dans des combats perdus pour cause d’ego. À force d’être consistant et de réussir ce que l’on entreprend, on devient de plus en plus expérimenté et on peut s’attaquer à de plus en plus gros défis tant que cela reste en phase avec qui nous sommes.
La respiration, gardienne du mental et de la clarté intérieure
Nous avons parlé de la respiration comme outil. Cependant, elle a un rôle majeur dans la conscience de soi. Pour cela, il faut parvenir à la rendre totalement passive et présente dans tout le corps. C’est une pratique que nous faisons uniquement dans les cours avancés de respiration consciente REBO2T car elle demande d’avoir déjà développé un certain nombre de qualités techniques. Quand la respiration est ainsi, elle permet de développer une immense conscience de soi, mais qui ne passe pas par le mental. Au contraire, la respiration est tellement subtile, douce et englobante, que le mental n’a pas d’accroche et petit à petit s’apaise.
Plus le mental est calme, moins il travaille sur l’ego et plus on voit les choses clairement. La pratique respiratoire devient alors le gardien du mental (mais aussi des autres fonctions de l’esprit) et maintient la structure de l’ensemble. Pour ressentir cela, vous devez laisser l’inspiration se faire passivement, remplir tout votre corps puis laisser l’air sortir tout aussi passivement. Pratiquez déjà 20 minutes et vous sentirez toute une série d’effets étonnants.
Conclusion
L’enfer, c’est l’image que l’on construit basée sur ce que l’environnement nous renvoie. Dans ce cas, le paradis, c’est de connaître qui nous sommes quand on enlève l’image. Mais attention, le piège est le faux éveil qui permet de créer une image supplémentaire, encore plus profonde. Si vous dépassez cela, vous percevrez un changement qui n’a rien de spectaculaire mais qui a un effet sur tout ce que vous faites. Avec cela vient un alignement permettant une vie bien plus agréable et pleine de sens.
PS: et pour commencer, l’arbre des pourquoi est pour vous!
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